![]() (photo n° 06) |
![]() (photo n° 07) |
Le 10 mai 1940 vendredi
Il était à peine
deux heures. Je venais de me coucher quand le lieutenant entre en trombe
dans le corps de garde et d’une voix sonore crie « Alerte réelle ».
Je me mets en tenue et court à mon poste. Le calme s’était subitement
transformé en un retentissement de cris et de pas pressés. C’était par
une froide nuit de printemps et je restai dans le fortin jusqu’au matin
à discuter avec les autres de choses et d’autres.
Je retourne à la caserne vers 5 heures du matin, je mange en hâte et
j’apprête mon butin que je charge sur un camion. Je prends mon vélo et
je retourne chez moi ; sur le pas de leurs portes des gens affolés
gesticulent. J’arrive chez moi tout trempé de sueur, ma femme vient à ma
rencontre en pleurant, je la console de mon mieux. Elle m’apprête
quelques friandises et de l’argent pendant que je me change. Je me rends
sur la position et le soir arrive sans autre incident. La nuit
j’ai dormi sous une tente mais j’ai eu froid.
Le 11 mai 1940 samedi
Durant la journée
quelques survols d’avions ennemis et tirs de DTCA et de Mi.A.Avi.
Vers la soirée ma femme est venue me rendre visite, elle m’apporte
encore des friandises et des cigarettes, elle s’en retourne me
promettant mieux pour le lendemain. Vers les 8 heures la pièce est mise
en batterie sur la route de Leumont. A 11 heures nous quittons la place
de Wanze à pied vers Moha et Bierwart, durant ce trajet une fusée
éclairante nous surprend, tout le monde se couche dans le fossé bordant
la route.Nous continuons la marche.
Le 12 mai dimanche
Nous arrivons de
grand jour à Cognelée (Namur) où nous nous reposons dans un verger. Peu
de temps après sont arrivés des avions nous survolant, tout le monde se
couche à plat ventre et les bombes pleuvent autour de nous ; là j’ai eu
peur pour la première fois. Nous parlons de nos impressions, soudain une
seconde rafale de bombes qui tombe encore plus près que les premières,
nous nous relevons étonnés de revoir tout le monde sain et sauf. Je vais
manger avec quelques camarades dans une maison voisine où nous avons été
bombardé une troisième fois, chacun voyait sa vie en danger et c’est
avec une joie réelle que je quitterai ce village dans le courant de
l’après-midi, bien que dans une direction inconnue, nous marchons sur
les routes, à travers champs où nous sommes constamment contraints à
nous cacher dans des caves, ou de nous coucher dans les champs de
trèfle, de blé et d’avoine ou encore dans les fossés bordant les routes
car les avions nous mitraillent sans répit. Enfin j’arrive dans une
maison, la femme me donne une tartine et une tasse de café, je me remets
en route sans retrouver mes camarades. Dans la soirée j’arrive à
Petit-Sart que je parcours dans tous les sens sans résultat. La nuit
vient, je rencontre deux amis perdus eux aussi, nous allons dormir un
peu parmi les français puis nous nous remettons en route.
Nous rencontrons la 9ème Cie nous sommes heureux de voir
notre ancien ami de chambrée Charles et nous passons le reste de la nuit
avec lui et chacun de nous raconte ce qu’il a vu et ses impressions.
Le 13 mai lundi
Au petit jour nous rencontrons un TS qui nous indique le chemin pour retrouver la Cie. Nous nous rendons sur les positions presque sans manger, nous aménageons lesemplacements et faisons des trous de fusillés, nous subissons quelques bombardements lointains mais quelques balles de Mi entourentles hommes de la pièce de droite. Comme nous avions faim je me débrouille, j’empoigne un vélo et me rends au village chercherdeux pains auprès des français. Le soir nous nous mettons en route à destination du front.
Le 14 mai mardi
Nous arrivons le matin à Marchovelette, nous mettons en batterie dans le fond d’un bois,nous creusons des trous de fusillés et des abris. Ce jour-là la cuisine était avec nous mais pas grand-chose à manger. Nous assistons à des bombardements lointains et sommes constamment survolés par l’aviation. La journée et la nuit nous sommes sur le qui-vive. Nous nous couchons près des pièces enroulés sous nos bâches mais personne ne dort.
Le 15 mai mercredi
Dans le courant de la matinée nous sommes obligés de prendre la fuite car nous sommes menacés d’être encerclés, c’est dur mais nous marchons quand même, nous chargeons les camions et je charge aussi ma besace que je n’ai plus revue, les camions étant perdus. En marchant nous passons dans les lignes marocaines qui nous crient de nous cacher, les balles de Mi sifflaient au-dessus des têtes, c’était déjà un char allemand qui était avancé. Nous nous engageons dans des routes poussiéreuses de sorte que nous n’étions presque plus reconnaissables. Je buvais beaucoup, il faisait une chaleur torride. Puis nous arrivons près deTemploux, village très éprouvé où une série de spectacles épouvantables se présentent à nos yeux. Sur une grande distance le long de la route des trous de bombes tous les 10 mètres, des camions détruits, beaucoup de vaches tuées, les rails du tram tordues. En passant dans le village un avion français abattu où une bombe avait tué plusieurs civils, dans un verger une trentaine de soldats tués et leurs vélos détruits et aussi plusieurs immeubles en ruines. C’est en ayant les yeux pleins d’horreur que nous arrivons à Jemeppe où nous mangeons ce que nous pouvons, je me lave un peu puis nous repartons vers Charleroi ou nous arrivons exténués et où nous logeons par terre chez une bonne femme. Malgré la dureté du lit de pierre, je dors d’un profond sommeil.
Le 16 mai jeudi
Nous traversons la
ville de Charleroiou les civils offrent vélos et friandises à qui en
veut et nous nous acheminons vers Gosselies. Nous dinons à trois, les
autres de la Cie étant partis à vélo et en camion. Dans un magasin
abandonné nous prenons quelques bouteilles d’apéritifs. Un peu plus
loinnous montons sur un camion de munitions et nous sommes obligés de
sauter plusieurs fois à terre et de nous cacher pour les avions de
bombardement allemand. Nous passons dans Nivelles dont le clocher est
abattu et les rues sont encombrées de débris des façades de beaucoup de
maisons, nous remarquons aussi des trous de balles de Mi dans les murs
restant. Nous débarquons à trois kilomètres de Braine-le-Comte et d’un
pas pressé malgré nos maux de pieds, nous traversons ce village pour
arriver à « Petit-Roelx » où nous devions loger.
Pendant ce trajet, nous avions vidés trois bouteilles d’apéritifs. Nous
nous lavons un peu, puis soupons avec des œufs et deux bouteilles qui
nous restaient, souper qui nous avait semblé excellent et sur ce nous
nous sommes couchés. Toute la nuit les canons tonnèrent et on entendait
le vrombissement des avions.
Le 17 mai vendredi
Très tôt, le matin, le signal de départ est donné, un camarade et moi, cherchons à voir un camion. Nous parlons un peu avec le curé de « Petit-Roelx ». Ne voyant aucune autre solution nous cherchons un vélo, mon en trouve un puis ne restait pour moi qu’un vélo d’enfant, j’attache mon masque à gaz sur le porte-bagage, et qui me servait de selle et nous nous mettons en route suivant une colonne cycliste. C’était un peu dur mais c’était mieux qu’à pied quand même. Nous nous arrêtons devant une petite maison pour demander de l’eau, on nous fait entrer, nous prenons une tasse de café et deux œufs que nous gobons. Plus loin nous mangeons une tartine dans un café. Nous traversons la belle ville de Grammont. Ma montre n’étant pas très ordinaire, avait beaucoup de succès, les évacués laissaient échapper des éclats de rire à travers leurs visages voilés de tristesse. Nous buvons encore une limonade dans un café, là nous avons vu pour la première fois les anglais. Cette fois nous étions distancés mais nous nous arrêtons encore pour boire un peu d’eau, un anglais s’approche et nous salue, nous offre une cigarette puis tout un paquet. Tout le long du chemin nous rencontrons des Tommies bien rasés et nous saluant de la main ou d’un bonjour. Nous passons à Audenarde, belle ville aussi et nous allons manger une tartine dans un café à Eine. Nous prenons la route de Gand et nous trouvons la Cie à Ravère où nous logeons.
Le 18 mai samedi
Entretemps la
cuisine avait été bombardée et beaucoup d’hommes étaient perdus
notamment quelques camarades de chambrée. Les camions et les pièces
s’étaient perdus aussi.
Dans le courant de l’après-midi nous avons quitté Ravère pour arriver à
Petteghem. Nous soupons, nous
« lavons » et nous « couchons » dans une belle villa
abandonnée, mon copain Henry Brasseur et moi avions transformé la salle
de bain en chambre à coucher.
Le 19 mai dimanche
Comme nous étions en repos nous avons joué un peu aux cartes puis nous avons déménagé et chercher logis 100 mètres plus loin dans les moulins de Deinze. Nous assistons au départ des évacués, triste spectacle, les paisibles gens doivent quitter leur foyer pour s’exiler dans un pays qu’ils ignorent. Mon copain et moi nous « lavons » les pieds dans la Lys, rivière au cours lent.
Le 20 mai lundi
Toujours au repos. Dans le courant de l’après-midi nous nous sommes remis à neuf, nouvelles chemises, chaussettes, veste, capote, guêtres et culotte. Journée très calme. Le soir nous sommes partis et sommes arrivé à Gottem. Nous avons dormi le reste de la nuit.
Le 21 mai mardi
Nous avons organisé les positions et comme n’ayant plus de pièces la Cie a été transformée en Cie fusillés. J’ai monté de garde jusque minuit puis je me suis couché. Le canon a tonné toute la journée et toute la nuit. Beaucoup d’avions ont survolés.
Le 22 mai mercredi
Très tôt nous nous mettons en tenue pour partir, nous attendons jusqu’au matin sur la route puis il y aun contre-ordre, c’était un exercice paraît-il. Des avions ont survolé dans la matinée.
………… ensuite plus rien…….. Malheureusement le soldat TETTELIN Philippe a été tué d’un éclat d’obus, vous en trouverez trace dans son carnet (photos jointes)
![]() Carnet du soldat Tettelin (face) (photo n° 08) |
![]() Carnet du soldat Tettelin (arrière) (photo n° 09) |
Quelques objets du soldat Tettelin
(photo n° 10)
Merci à M. Bauche Firmin, à M. Bada Jean et à la famille de M. Tettelin.
Ce récit illustre très bien notre but… n’oubliez pas ceux qui sont tombés pour nous !!!!